Femmes d’Exárcheia, peurs sur la ville

Publié le 30 avril

Dans le cadre de la campagne d’autonomisation des femmes Athens Naked Truth, l’association Interalia a organisé un atelier de cartographie avec un groupe de femmes sur la question du sentiment de sécurité dans les rues d’Exárcheia, un vieux quartier d’Athènes. Il s’agissait de confronter nos expériences et de mettre des mots et des images sur la façon dont nous sommes privées, en tant que femmes, de l’usage serein de notre propre ville.

par Stefania Mizara
Photojournaliste


Cartes sensibles réalisées lors de l’atelier.

Se dire la peur

Ruelle piétonne d’Exárcheia.

Avec une quinzaine de femmes, nous nous sommes réunies pour discuter de ce que nous ressentions en marchant dans les rues d’Exárcheia. Certaines d’entre nous habitaient le quartier, d’autres y travaillaient ou le fréquentaient souvent.

Très vite s’est dégagé un point commun entre toutes nos expériences : le harcèlement. Nous n’avions pas vécu d’agressions corporelles, mais nous avions toutes eu à affronter des regards insistants, des commentaires déplacés qui créaient de la peur. Ce que nous avons dit pourrait s’appliquer à n’importe quelle femme ou membre de la communauté LGBT, dans n’importe quel quartier d’Athènes ou de n’importe quelle grande ville. Le harcèlement de rue, les regards désapprobateurs des personnes âgées, le sentiment d’insécurité dans les ruelles sombres, toutes les femmes l’expérimentent pratiquement partout.

La particularité d’Exárcheia

Dans ce quartier historique du centre d’Athènes, le surtourisme chasse les habitantes, car les loyers explosent et le coût de la vie devient rédhibitoire. Anna Julia, une anthropologue italienne qui a déménagé à Kypseli, un quartier voisin où les prix de l’immobilier sont encore abordables, observe : « La gentrification fait exploser le tissu social, ce qui signifie que vous ne vivez, ne travaillez et ne sortez plus dans un seul et même quartier. Vous devez parcourir une plus grande distance pour rentrer chez vous. Par conséquent, se promener la nuit devient un plaisir réservé aux hommes, car ils ne se sentent pas autant en danger dans la rue que les femmes. Pourtant, aller où l’on veut n’est-il pas un droit universel ? »

La place Exárcheia confisquée.

Hara, l’une des organisatrices de l’atelier, fait la même anlayse : « Je suis venue vivre à Exárcheia il y a trois ans et au début, j’avais un peu peur dans la rue. Maintenant je me sens davantage en sécurité, tout simplement parce que je connais des gens ici. Je partage le même espace que mes voisines et mes voisins. Mais ce sont clairement les processus de gentrification qui créent les conditions de la violence. »

Ces dernières années, l’écosystème urbain du quartier a été bouleversé par les « réaménagements » forcés des espaces publics. La petite place Exárcheia, le point névralgique de la vie locale, a été rasée pour faire place au chantier d’une station de métro. Elle s’est vue confisquée au habitantes, de même que le seul « parc », la colline Stréfi, qui a été « réaménagée ».

L’uniforme ne fait pas le moine

Policiers surveillant la place Exárcheia.

L’omniprésence de policiers armés jusqu’aux dents créé une situation de malaise, qui choque les personnes qui visitent le quartier et opprime les résidentes. 
En effet, une quarantaine d’agents gardent 24 heures sur 24 l’imposante clôture de tôle et de grillage de 5 mètres de haut qui barricade le chantier de la place Exárcheia. On se sentirait presque en zone occupée. « Depuis que des policiers grossiers surveillent notre quartier, j’ai commencé à ressentir le corps masculin comme une menace », déclare Anna Julia.

 Des cas de harcèlement, de « taquineries » et de gestes déplacés de la part des policiers ont été officiellement constatés. Au café, on entend souvent les gens se plaindre du fait que les policiers affectés à la surveillance des travaux publics appliquent la loi du plus fort sans aucune discrimination.
 Il y a eu des passages à tabac gratuits de parents devant leurs enfants, des gaz lacrymogènes pulvérisés sur des citoyennes lors de marches de protestation et des gestes obscènes.

L’espace public confisqué

« Les grillages créent aussi pour moi un sentiment de violence, dit Hara, parce qu’ils empèchent de se déplacer dans l’espace public. J’ai un sentiment d’étouffement parce que l’espace public ne m’appartient plus et que c’est comme si je n’étais pas propriétaire de mon corps et de ma vie quotidienne.
 »
Boika ajoute : « La peur érode notre vie quotidienne et nous pose en victimes. Après le confinement, pendant la pandémie de Coronavirus, j’en suis venue à la conclusion que nous ressentons peut-être de la peur dans la rue, mais que la véritable menace se trouve plutôt à la maison. »

Une synthèse cartographique des différentes peurs et des stratégies d’évitement des femmes.

Stefania Mizara


Bandeau : Streetart à Exárcheia, 2023. Photographies : Stefania Mizara et Nepthys Zwer.
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