Le propre de l’humanité est de migrer. Les être humains vont là où ils peuvent vivre ou survivre. Sans migrations, brassages ethniques, transferts et contretransferts culturels, nous aurions disparu depuis longtemps. La façon de représenter les migrations nourrit nos représentations collectives, si facilement instrumentalisées par les populismes de tout poil, et ce dans le déni total des faits et des données.
Les équipes Isotype coordonnées par Marie Reidemeister et Otto Neurath [1] faisaient appel à des expertes des différents sujets à traiter et s’appuyaient sur les données statistiques des publications scientifiques. Ce graphique reflète donc l’état de la recherche dans les années 1930. Mettre en image des données complexes (ce que fait le graphisme d’information qui nous est si familier aujourd’hui) est une façon de démocratiser la connaissance.
Modern Man in the Making, qui marie textes et illustrations, raconte l’histoire de l’humanité qui débute (et se poursuit) par les déplacements des groupes humains dans toutes les régions du globe. L’archipel de Hawaï fournit un exemple de la façon dont se peuplent les régions.
L’« image-guide » en haut à droite représente des éléments géographiques caractéristiques de l’île : ses volcans et ses palmiers. Ce type de vignette vient appuyer le titre : le propos d’un Isotype doit être saisi dès le premier regard. Chaque silhouette représente 25.000 personnes. Les pictogrammes rouges et pleins représentent les autochtones, les silhouettes évidées aux contours rouges les personnes métisses, les silhouettes aux contours noirs les personnes immigrées : d’origine asiatique quand elles sont coiffées d’un couvre-chef (Chine, Japon, Corée), à la tête nue quand elles viennent des Philippines. Les immigrantes d’origine européenne sont représentées par un pictogramme au contour bleu.
Nous apprenons que la population autochtone a été réduite des deux tiers entre 1830 et 1870. L’immigration asiatique a ensuite constitué le gros de l’apport humain, alors que la population autochtone avait arrêté de croître. En 1930, l’immigration philippine et européenne (chacune 3 silhouettes de 25.000, soit 75.000 personnes) n’avait pas encore rattrapé l’ampleur de celle d’Asie.
Cet Isotype remplit le rôle qui lui est assigné : montrer des phénomènes peu visibles et nous pousser à nous poser des questions à leur propos. Le texte de Modern Man in the Making répond à certaines d’entre elles : Les autochtones ont été décimées par les maladies apportées par les Occidentaux. Le manque de ressources dans leurs pays d’origine explique les migrations asiatiques qui sont donc économiques. La migration occidentale n’est cependant pas évoquée.
De fait, l’archipel a été annexé par les États-Unis en 1898, son gouvernement ayant été renversé en 1893. Faute de traité, le statut de « territoire d’Hawaï », puis de 50e État américain depuis le 21 août 1959, est aujourd’hui encore illégal au regard du droit international.
La population hawaïenne comptait 1 446 000 personnes en 2024. Sur ce graphique, il nous faudrait près de 58 pictogrammes pour la représenter à la même échelle. Les données ethnographiques sont variables. Le U.S. Census Bureau indique cette répartition de la population : autochtone (10,2%), métisse (24,5%), asiatique (37,4%), blanche (25,1%). Le complément est constitué par la population noire et autochtone américaine.


