Le petit graphique « Market Regulation by Destruction, Brazil 1927-1937 » (Régulation du marché par la destruction, Brésil 1927-1937) se trouve dans un grand livre publié en 1939 par Otto Neurath, Modern Man in the Making. Sur 159 pages illustrées de remarquables Isotype, l’auteur nous propose un voyage à travers le temps pour expliquer l’histoire de l’humanité.
Otto Neurath (1882-1945), économiste et philosophe d’une érudition exceptionnelle, était anti-capitaliste. Sa vie durant, il a dénoncé les travers d’un système économique délétère - preuves et raisonnement à l’appui. L’actualité de sa pensée n’échappera à personne, dans notre monde martyrisé par la course aux profits de certains et la haine générale de l’autre que dicte le vieux fantasme masculin de l’omnipotence.
Au chapitre « L’état du monde », l’auteur fait ce constat :
Nous vivons une période de troubles et de perturbations dans la production, une alternance de hauts et de bas dans les prix et les salaires, dans les profits et les investissements. Pour augmenter leurs bénéfices, les banquiers et les fabricants, les agriculteurs et la recherche se lancent dans de nouveaux investissements ; si les bénéfices s’avèrent incertains, les investissements cessent. Tout dépend de cette question du profit [...].
Neurath illustre ce fait à l’exemple du commerce du café au Brésil sur une période de 10 années : le plus grand producteur au monde recourt à la destruction planifiée de ses stocks pour préserver le cours du café en bourse et la compétitivité du pays sur le marché mondial.
Ce qui nous intéresse ici est le système sémiologique mis en place. Les pays sont représentés par de simples rectangles, les transports de marchandise par des flèches. Chaque symbole montrant une pile de grains représente 10 millions de sacs de café (un sac de café vert pèse 60 kg). Une barque avec sa cargaison représente les exportations quand les symboles sont pleins et les importations correspondantes quand les symboles sont évidés. À gauche, une petite figure évoquant un abri représente la marchandise en stock. En rouge, sur la ligne du haut, le symbole « grain » associé au symbole « flamme » représente les stocks de café détruits.
Qu’apprenons-nous en quelques coups d’œil ? Le Brésil exporte presque autant de café vers l’Europe (70 millions de sacs) que vers les États-Unis (80 millions), sur une production totale de 220 millions de sacs. Sur le stock restant (les deux piles du bas correspondant à 20 millions de sacs), la moitié est exportée. 50 millions de sacs sont purement et simplement détruits, soit près de 23 % du café produit au Brésil en une décennie. Ceci permet d’ajuster la production à la demande et d’éviter de faire baisser les prix sur le marché par une offre trop importante.
Les chiffres sont bien sûr arrondis et cette représentation vaut surtout pour sa qualité didactique. Associer deux pictogrammes (grain + barque et grain + flamme) ne vise pas à illustrer l’énoncé, mais bel et bien à le remplacer. Les seules indications textuelles dont nous disposons sont les mots « destruction » dans le titre et « avec flamme : détruit » dans la légende. Une poignée de symboles, une impression bichrome, l’absence de fioritures (chaque élément est porteur de sens), la simplicité du procédé représentent une économie de moyens visuels qui auraient plu à Jacques Bertin. Cet Isotype nous montre qu’une image vaut bien mille mots.